En Auvergne, leur nouvelle vie à la campagne : “Une caravane au fond d’un bois, plutôt que de revivre en ville”

Ils ont laissé derrière eux une vie entre béton et goudron pour travailler au vert et réenchanter leur quotidien. L’Auvergne s’est imposée à eux et ce retour à la terre est un aller simple. Portraits de citadins à la campagne.
 

Par Jérôme Doumeng Publié le 08/06/2020 à 12:39

Ils n’ont pas entendu le confinement pour rêver d’une vie au grand air. Quand beaucoup étaient emmurés dans les villes, eux, goûtaient déjà à une liberté retrouvée depuis bien des années. La pandémie n’a fait que conforter ces néo-ruraux dans leur choix. Ils viennent de Paris ou de Marseille, ils s’enracinent aujourd’hui quelque part entre Haute-Loire et Cantal, et leur exode rural est sans retour.

Dennis et Céline : le chevrier et l’infirmière (1/5)

« Un soir quand je rentrais du travail, la police était en bas de mon immeuble. Elle cherchait des douilles ». Ce souvenir est vieux de dix ans, mais Dennis l’a gravé dans un coin, pas si loin, de sa mémoire, à jamais. Avec sa compagne Céline, ils occupaient alors un F2 de 36 m2, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Il était directeur de crédit dans une chaîne hôtelière de luxe, elle était secrétaire médicale.

Et beaucoup plus qu’aujourd’hui dans leur nouveau cadre de vie, à Lugarde, dans le Cantal, ils vivaient confinés dans la routine d’une vie en banlieue, sans relief ou presque : « On sortait très peu. La semaine, on travaillait dans un bureau, le week-end, c’était devant la télé. Et entre les deux, des voitures brûlées et des violences. C’était chaud ! » se souvient Dennis. Tellement qu’avant d’accepter une promotion, il dût réfléchir à deux fois. « J’ai demandé à mon employeur un bilan de compétences et quand je suis revenu le voir, il avait un paysan en face de lui ! » confie-t-il. Sa révolution était en marche et rien ni personne ne pouvait la contenir

D’un deux pièces à l’Arche de Noé

Point de départ d’une nouvelle vie ? Lugarde, donc. Son viaduc, sa gare, ses 145 habitants et le plateau du Cézallier pour porte d’à côté. Bienvenue dans le monde d’après ! Au revoir l’appartement de poche et les horizons bornés. Chaque jour qui passe, Dennis réalise sa chance : « J’ai été formé pour changer de métier tout en continuant à être payé pour le poste que je n’occupais plus, mais quel pays au monde peut permettre cela ? Les Etats-Unis ? Franchement, on ne le sait pas toujours mais on vit dans un pays qui offre des possibilités et c’est fantastique ! ». Un Fongecif, un bac agricole décroché à Aurillac (Cantal) et la reprise d’une exploitation, voilà comment l’ancien cadre a troqué son costard-cravate contre des bottes en caoutchouc au cœur de la petite Mongolie d’Auvergne.

Deux critères ont dicté ce choix :« On voulait s’installer loin de la pollution et où l’eau était de bonne qualité. On a cherché et on a pointé du doigt ce coin de France sur la carte ». En somme, une vie saine, un air pur et de grands espaces, un univers à des années-lumière du deux pièces dans le 9-3. Appréciez un peu le tableau ! Quelle toile pourrait contenir pareil paysage ? 9 hectares de terrain, 250 m2 de bâtiments agricoles, un potager de 200 m2, une serre de 10 m2, et une maison d’habitation de 100 m2, la propriété est peuplée d’une trentaine de chèvres, de neuf chiens, de trois chevaux, de quelques chats, de trois vaches, de cent cinquante poules, de quelques canards, de quelques oies, et d’oiseaux exotiques dont un perroquet qui passe la moitié de sa journée hors de sa volière. Bref, une autre planète. Surtout que le seul immeuble à se dresser devant leurs yeux est minéral. Il a pour nom… le Sancy. « Eté comme hiver, c’est magique ! » se plaît à dire Dennis.

« Les gens ont redécouvert le plaisir de cuisiner »

Pour lui, il ne s’agit pas d’un exil, mais bien d’un retour à la terre. Avant les années parisiennes (ils cumulent à eux deux, quarante-deux ans de vie dans la Capitale), et bien que ses parents n’y exerçaient aucune activité agricole, Dennis a grandi dans la campagne alentour d’Hambourg (Allemagne). Gamin, il allait chercher le lait à la ferme du voisin et en profitait pour nourrir les veaux et traire les vaches. Aujourd’hui, à 46 ans, il fabrique des cabécous, des yaourts au gingembre ou au citron avec le lait de ses Jersiaise et de ses chèvres, des bourriols et des madeleines qu’il écoule sur les marchés entre Cantal et Puy-de-Dôme. De Riom-es-Montagnes à Condat, de Bort-les-Orgues à Aubière et jusqu’à Billom. Sans compter les tournées de livraisons. Ces dernières semaines ont été sans précédent dans sa vie de paysans : « Les gens ne voulaient plus sortir sur les quelques marchés encore ouverts, ils se sont remis à cuisiner et ils ont redécouvert ce plaisir-là, la demande a été très forte, je n’ai jamais autant travaillé de ma vie ». Dennis se souviendra longtemps du confinement et de cet emballement pour la consommation de produits locaux : « Les gens ont aussi pris conscience que si l’on suit la saisonnalité des produits, on fait aussi des économies ! »

Avec moins, vivre heureux

Dennis ne compte pas ses heures de travail, entre 12 et 16 heures par jour. Son pouvoir d’achat a été divisé par quatre mais le luxe est bien ailleurs. Dans la somme de détails se niche son bonheur, et la liste de ses plaisirs minuscules qui suit est non-exhaustive : « Quand je prends mon café le matin en regardant les montagnes, quand je vais voir les bêtes, quand je fais mes fromages, quand on part à la pêche aux écrevisses…. C’est vrai, on gagne moins d’argent, mais est-ce qu’on a besoin de changer de téléphone ou d’ordinateur à chaque nouveau modèle ? Mon rêve n’est pas de m’envoler pour l’Australie pour dire que j’y suis allé. J’ai une vieille voiture avec des bosses mais elle roule et c’est ce qui m’importe. Et quand ma femme part en vacances, elle prend un cheval et un chien. En autonomie pendant une semaine, il ne lui manque rien. On est à notre place et on sait qu’on peut vivre heureux avec moins ». Une vie à rebours de la tyrannie de la consommation.

« On rencontre plus de gens ici qu’à Paris »

Céline, 42 ans, l’ancienne secrétaire médicale, passée elle aussi par la case « formation », est devenue depuis infirmière à la clinique du souffle de Riom-es-Montagnes (Cantal). L’idéal de Dennis est le sien. D’une même voix, ils chantent donc les jours heureux : « Ici, on respire mieux, et il y a toujours quelque chose à faire qui nous donne envie, on ne s’ennuie jamais. La première voisine est à cinquante mètres à vol d’oiseau, l’autre à huit-cents mètres, on a une liberté totale de mouvement, ça vaut toutes les activités culturelles en ville ». Serait-ce à dire alors que la distanciation physique a ses vertus ? « Je ne sais pas, mais elle est ici moins forte. Car, en plus des marchés où je côtoie des clients, on reçoit aussi du monde à la ferme chaque semaine. On rencontre plus de monde ici qu’on en a rencontré à Paris, après y avoir passé toutes ces années ». La distanciation sociale serait donc inversement proportionnelle à la taille des villes, où l’anonymat en est l’un de ses apanages.

Alors comment, dans de telles conditions, envisager, s’il le fallait, un retour à la ville demain ? Sans tergiverser, Dennis tranche la question : « Je préférerais vivre dans une caravane au fond des bois ! » La réponse est sans appel autant que le chemin emprunté par Dennis et Céline est à sens unique.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/auvergne-leur-nouvelle-vie-campagne-caravane-au-fond-bois-plutot-que-revivre-ville-1838644.html

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